Below, Worthington splashes - drawn and photographed by himself :
J'ai commencé de lire le gros ouvrage de Lorraine Daston et Peter Galison, intitulé Objectivity, paru en 2007. C'est une lecture agréable et qui fait réfléchir, car les deux auteurs sont particulièrement clairs et le livre regorge d'illustrations. Le but des auteurs est de reconsidérer le récit historique habituel des développements de l'objectivité scientifique. Loin d'être un concept qui serait né avec la révolution scientifique du dix-septième siècle, l'objectivité est le produit du dix-neuvième siècle et lié assez étroitement aux progrès des moyens mécaniques d'observation de la nature, de conduite des expériences et de présentation des données. Avant la période de l'objectivité, il y eut une époque où le but des scientifiques était de s'approcher le plus possible de la "vérité naturelle", qui en fait donnait une vision idéalisée de leurs recherches. Ceci semble assez abscons, sans doute, mais les auteurs rendent leur thèse convaincante et séduisante grâce aux nombreux exemples qu'ils analysent, qui proviennent en majorité des "atlas", c'est-à-dire, selon leurs termes, de "compilations systématiques d'objets en fonctionnement" dont "les images créent la science" (p. 22). Avant l'objectivité, les scientifiques avaient tendance à simplifier leurs résultats et à publier des images idéales de corps/plantes/organismes, etc, et non toutes les irrégularités qui caractérisent les phénomènes. Cela impliquait un contrôle très étroit du scientifique sur l'artiste qu'il employait comme illustrateur dans le cas d'oeuvres en collaboration. Un exemple excellent est celui d'Albinus et de son illustrateur Jan Wandelaar dont nous a parlé Tim Huisman lors du dernier séminaire : le savant chercha par tous les moyens à dépeindre un squelette idéal, ce qui était pour lui le modèle de la "vérité naturelle". L'objectivité provient en partie de l'art de la photographie : le choc de l'objectivité, selon Daston et Galison, est venu avec Arthur Worthington qui étudiait les éclaboussures faites par des gouttes de liquide tombant d'une certaine hauteur (1877). Il se rendit compte quand il prit des photographies du phénomène qu'il avait eu tendance à simplifier et idéaliser ces impacts, pour qu'ils se conforment à un idéal de symétrie. De la même façon les flocons ou cristaux de neige sont plus souvent asymétriques que conformes à une symétrie idéale (Neuhauss et Hellmann, 1893). On trouve dans le livre une impressionnante photographie de flocons de neige réels (p. 155, figure 3.21) qui contraste avec des types de flocons parfaits, dessinés à la main (Figures 3. 19 et 3. 20). Un aspect important de l'ouvrage est que les auteurs insistent bien que l'objectivité n'a pas rejeté dans le néant la "vérité naturelle". En fait, dans certains cas, pour les guides de terrain, par exemple, un dessin idéalisé est parfois plus utile qu'une photographie de spécimens. C'est une chose que nous avions discutée lors de notre conférence inaugurale, avec Valérie Chansigaud. Il y a donc toujours un avenir pour les illustrateurs, que l'on ne peut pas remplacer complètement par des procédés mécaniques! Je suis certaine que tout le monde a un jour trouvé le dessin d'un oiseau ou d'une plante, qui mettait en relief des caractères parfois peu visibles dans tous les spécimens, plus utile pour son identification qu'une photographie.
Ci-dessus, les éclaboussures de Worthington, dessinées et photographiées par lui.
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